N'a-t-il pas déclaré en 1959, qu'il est rare que les évènements qui jalonnent la vie d'un homme, s'intègrent dans l'histoire d'un peuple, à un point tel, que l'homme semble incarner tout son peuple. Si la transposition a pu s'accomplir, c'est que l'homme a su se faire le porte parole sincère et désintéressé de la conscience nationale, qu'il a lutté pour la cause du peuple tant et si bien, que les péripéties de la vie de l'un et de l'autre ont été amenées à se confondre ».

Bourguiba croit donc, avoir arrêté le cours de l'histoire et change radicalement sa direction. Pour lui, la « vraie histoire » de son pays, se confond tout simplement à la sienne. Durant son long « règne », Bourguiba engage de profondes réformes, qu'il conçoit seul et réalise contre vents et marées. Ces réformes visent à débarrasser la société de l'obscurantisme et de l'immobilisme, profondément enracinés en elle, pour l'inscrire irrévocablement dans le sens de la modernité et du progrès. Seul maitre à bord, celui qui s'autoproclame Président à vie, n'admet guère que l'on discute ses choix, ou encore moins, que I'on ose les contester. Tous ceux parmi ses compagnons ou ses proches, qui tentèrent de le faire, se sont vus aussitôt éjectés de la vie politique, sans ménagement.

Mais, malgré ses défauts de caractère, Bourguiba fut incontestablement, un homme d'Etat hors pair. Porteur d'un projet civilisateur multidimensionnel, il se distingue par son inspiration quasi-prophétique, qui lui permet de prédire avant quiconque, l'évolution des situations et de repérer avant qu'il ne soit tard, le potentiel d'action à entreprendre pour agir au bon moment, dans le sens qu'il faut. Persévérant, courageux et jamais désespéré, il affronta avec ténacité toutes formes de résistance au progrès et toute tentative de déstabilisation. Son projet marque et marquera incontestablement pour longtemps la Tunisie.

Hélas, bien au milieu de ce long « règne », l'usure physique commence à le ronger et le poids de l'âge et l'effet impitoyable de la maladie, le soumettent à diverses influences plus ou moins bienveillantes. Celles-ci font valser plus d'une fois son pouvoir et finissent par l'emporter à l'aube du 7 novembre 1987, quand l'homme n'est plus que l'ombre de ce qu'il était. N'ayant pas eu le courage de quitter son fauteuil de son propre gré, il y est forcé et passe la dernière décennie de sa vie, à attendre sa délivrance.